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LE PEUPLE


« chapeaux. Aujourd’hui ils se contentent de vous regarder et ricanent : à peine êtes-vous sur le seuil, que vous les entendez parler de vous d’une manière plus leste que si vous étiez leur camarade ». Aux environs de Paris, même attitude chez les paysans, et Mme Vigée-Lebrun[1], allant à Romainville chez le maréchal de Ségur, en fait la remarque : « Non seulement ils ne nous ôtaient plus leurs chapeaux, mais ils nous regardaient avec insolence ; quelques-uns même nous menaçaient avec leurs gros bâtons. » — Au mois de mars ou d’avril suivant, à un concert qu’elle donne, ses invités arrivent consternés. « Le matin, à la promenade de Longchamps, la populace, rassemblée à la barrière de l’Étoile, a insulté de la façon la plus effrayante les gens qui passaient en voiture ; des misérables montaient sur les marchepieds en criant : L’année prochaine, vous serez derrière vos carrosses et nous serons dedans. » — À la fin de 1788, le fleuve est devenu torrent, et le torrent devient cataracte. Un intendant[2] écrit que, dans sa province, le gouvernement doit opter, et opter dans le sens populaire, se détacher de privilégiés, abandonner les vieilles formes, donner au Tiers double vote. Clergé et noblesse sont détestés, leur suprématie semble un joug. « Au mois de juillet dernier, dit-il, on eût reçu les (anciens) États avec transport, et leur formation n’eût trouvé que peu

  1. Mme Vigée-Lebrun, I, 158 (1788), I, 183 (1789).
  2. Archives nationales, H, 723 (Lettre de M. de Caumartin, intendant de Besançon, 5 décembre 1788).