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L’ANCIEN RÉGIME


Aucune n’entre en jeu hors de saison. Si nous n’intervenions pas, si nous ne leur imposions pas de contrainte, si nous laissions toutes ces sources vives couler sur leur pente, si nous ne les emprisonnions pas dans nos conduits artificiels et sales, nous ne les verrions jamais écumer ni se ternir. Nous nous étonnons de leurs souillures et de leurs ravages ; nous oublions qu’à leur origine elles étaient inoffensives et pures. La faute est à nous, aux compartiments sociaux, aux canaux encroûtés et rigides par lesquels nous les dévions, nous les contournons, nous les faisons croupir ou bondir. « Ce sont vos gouvernements mêmes qui font les maux auxquels vous prétendez remédier par eux… Sceptres de fer ! lois insensées ! c’est à vous que nous reprochons de n’avoir pu remplir nos devoirs sur la terre ! » Ôtez ces digues, œuvres de la tyrannie et de la routine ; la nature délivrée reprendra tout de suite son allure droite et saine, et, sans effort, l’homme se trouvera, non seulement heureux, mais vertueux[1].

Sur ce principe, l’attaque commence : il n’y en a pas qui pénètre plus avant ni qui soit conduite avec une plus âpre hostilité. Jusqu’ici on ne présentait les institutions régnantes que comme gênantes et déraisonnables ; à présent on les accuse d’être en outre injustes et corruptrices. Il n’y avait de soulevés que la raison et les appétits ; on révolte encore la conscience et l’orgueil. Avec Voltaire et

  1. « Article I. Tous les Français seront vertueux. — Article II. Tous les Français seront heureux. » (Projet de Constitution retrouvé dans les papiers de Sismondi, alors écolier.)