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L’ANCIEN RÉGIME


l’ère, le calendrier, les poids, les mesures, les noms des saisons, des mois, des semaines, des jours, des lieux et des monuments, les noms de famille et de baptême, les titres de politesse, le ton des discours, la manière de saluer, de s’aborder, de parler et d’écrire, de telle façon que le Français, comme jadis le puritain ou le quaker, refondu jusque dans sa substance intime, manifeste par les moindres détails de son action et de ses dehors la domination du tout-puissant principe qui le renouvelle et de la logique inflexible qui le régit. Ce sera là l’œuvre finale et le triomphe complet de la raison classique. Installée dans des cerveaux étroits et qui ne peuvent contenir deux idées ensemble, elle va devenir une monomanie froide ou furieuse, acharnée à l’anéantissement du passé qu’elle maudit et à l’établissement du millénium qu’elle poursuit : tout cela au nom d’un contrat imaginaire, à la fois anarchique et despotique, qui déchaîne l’insurrection et justifie la dictature ; tout cela pour aboutir à un ordre social contradictoire qui ressemble tantôt à une bacchanale d’énergumènes et tantôt à un couvent spartiate ; tout cela pour substituer à l’homme vivant, durable et formé lentement par l’histoire, un automate improvisé qui s’écroulera de lui-même, sitôt que la force extérieure et mécanique par laquelle il était dressé ne le soutiendra plus.