Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 3, 1909.djvu/19

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
5
L’ANARCHIE SPONTANÉE


de Paris, depuis la Normandie jusqu’à la Champagne, dévasta soixante lieues du pays le plus fertile et fit un dégât de 100 millions. L’hiver vint et fut le plus dur qu’on eût vu depuis 1709 ; à la fin de décembre, la Seine gela de Paris au Havre, et le thermomètre marquait 18° 3/4 au-dessous de zéro. Un tiers des oliviers mourut en Provence, et le reste avait tant souffert qu’on le jugeait hors d’état de porter des fruits pendant deux ans. Même désastre en Languedoc ; dans le Vivarais et dans les Cévennes, des forêts entières de châtaigniers avaient péri, avec tous les blés et fourrages de la montagne ; dans la plaine, le Rhône était resté deux mois hors de son lit. Dès le printemps de 1789, la famine était partout, et, de mois en mois, elle croissait comme une eau qui monte. — En vain, le gouvernement commandait aux fermiers, propriétaires et marchands de garnir les marchés, doublait la prime d’importation, s’ingéniait, s’obérait, dépensait 40 millions pour fournir du blé à la France. En vain, les particuliers, princes, grands seigneurs, évêques, chapitres, communautés, multipliaient leurs aumônes, l’archevêque de Paris s’endettant de 400 000 livres, tel riche distribuant 40 000 francs le lendemain de la grêle, tel couvent de Bernardins nourrissant douze cents pauvres pendant six semaines[1]. Il y en avait trop ; ni les précautions publiques, ni la charité privée ne suffisaient aux besoins trop grands. — En Nor-

  1. L’Ancien régime, I, 54. — Albert Babeau, I, 91. (L’évêque de Troyes donne 12 000 francs, et le chapitre 6000 francs, pour les ateliers de charité.)