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LA RÉVOLUTION


« çais, disait encore Mirabeau, ils sont un mois entier à discuter sur des syllabes, et, dans une nuit, ils renversent tout l’ancien ordre de la monarchie[1]. » — À dire vrai, ce sont des femmes nerveuses, et, d’un bout à l’autre de la Révolution, leur surexcitation ira croissant.

Non seulement ils sont exaltés, mais encore ils ont besoin d’exaltation, et, comme un buveur qui, une fois échauffé, recherche les liqueurs fortes, on dirait qu’ils prennent à tâche d’expulser de leurs cervelles les derniers restes de sang-froid et de bon sens. Ils aiment l’emphase, la rhétorique à grand orchestre, les pièces d’éloquence déclamatoire et sentimentale : tel est le style de presque tous leurs discours, et en cela leur goût est si vif, que leurs propres harangues ne leur suffisent pas. Lally et Necker ayant débité à l’Hôtel de Ville des discours « attendrissants et sublimes[2] », l’Assemblée veut qu’on les lui répète : elle est le cœur de la France, et il convient qu’elle ressente les grandes émotions de tous les Français. Que ce cœur batte toujours et le plus fort possible, voilà son office, et, jour par jour, on lui fournit des secousses. Presque toutes les séances commencent par la lecture publique d’adresses admi-

  1. Lettre de Mirabeau à Siéyès. 11 juin 1790. « Notre nation de singes à larynx de perroquets. » — Dumont, 146. « Siéyès et Mirabeau eurent toujours une bien chétive opinion de l’Assemblée constituante. »
  2. Moniteur, I, 256, 431 (16 et 31 juillet 1789). — Journal des débats et décrets, I, 185, 16 juillet. Un membre demande que M. de Lally rédige son discours. « Toute l’Assemblée a répété cette demande. »