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L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ET SON ŒUVRE


c’est aussi le temps qu’il fallait à nos assemblées pour faire leur éducation politique[1], pour se désabuser de la théorie, pour apprendre, au contact des affaires et par l’étude des détails, la distance qui sépare la spéculation de la pratique, pour découvrir qu’un système nouveau d’institutions ne fonctionne que par un système nouveau d’habitudes, et que décréter un système nouveau d’habitudes, c’est vouloir bâtir une vieille maison. — Telle est pourtant l’œuvre qu’ils entreprennent. Ils rejettent les propositions du roi, les réformes limitées, les transformations graduelles. Selon eux, leur droit et leur devoir sont de refaire la société de fond en comble. Ainsi l’ordonne la raison pure qui a découvert les droits de l’homme et les conditions du contrat social.

II

Appliquez le Contrat social, si bon vous semble, mais ne l’appliquez qu’aux hommes pour lesquels on l’a fabriqué. Ce sont des hommes abstraits, qui ne sont d’aucun siècle et d’aucun pays, pures entités écloses sous la baguette métaphysique. En effet, on les a formés[2] en retranchant expressément toutes les différences qui séparent un homme d’un autre, un Français d’un Papou, un Anglais moderne d’un Breton contemporain de César, et l’on n’a gardé que la portion commune. On a obtenu

  1. Morris, 29 avril 1789. (Sur les principes de la Constitution future) : « Il faudra au moins une génération pour en rendre la pratique familière. »
  2. Cf. L’Ancien régime, t. II, liv. III, ch. iii.