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L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ET SON ŒUVRE


anciennes ; même lorsque ce groupe semble fermé comme en France avant 1789, chaque demi-siècle y introduit des familles nouvelles, parlementaires, intendants, financiers élevés au sommet de l’échelle sociale par la richesse qu’ils ont acquise ou par les hauts emplois qu’ils ont exercés ; et c’est dans le milieu ainsi formé que pousse le plus naturellement l’homme d’État, le bon conseiller du peuple, le politique indépendant et compétent. — En effet, d’une part, grâce à sa fortune et à son rang, l’homme de cette classe est au-dessus des besoins et des tentations vulgaires. Il peut servir gratuitement ; il n’a pas à se préoccuper d’argent, à pourvoir sa famille, à faire son chemin. Un mandat politique n’interrompt pas sa carrière ; il n’est pas obligé, comme un ingénieur, un négociant ou un médecin, de sacrifier son avancement, ses affaires ou sa clientèle. Il peut donner sa démission sans dommage pour lui ni pour les siens, suivre ses convictions, résister à l’opinion bruyante et malsaine, être le serviteur loyal et non le bas flatteur du public. Par suite, tandis que dans les conditions moyennes ou inférieures le principal ressort est l’intérêt, chez lui le grand moteur est l’orgueil : or, parmi les sentiments profonds de l’homme, il n’en est pas qui soit plus propre à se transformer en probité, patriotisme et conscience ; car l’homme fier a besoin de son propre respect, et, pour l’obtenir, il est tenté de le mériter. À tous ces points de vue comparez la gentry et la noblesse anglaise aux politicians des États-Unis. — D’autre part, à talent égal, un homme de ce monde a