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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 3, 1909.djvu/25

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L’ANARCHIE SPONTANÉE


plupart des affaires contentieuses. L’intendant, le subdélégué, l’élu perdent ainsi les trois quarts de leur autorité. Partant, entre ces deux pouvoirs rivaux dont les frontières sont mal définies, des conflits s’élèvent ; le commandement flotte et l’obéissance est moindre. Le sujet ne sent plus sur les épaules le poids supérieur de la main unique qui, sans intervention ni résistance possible, le courbait, le poussait et le faisait marcher. — Cependant, dans chaque assemblée de paroisse, d’arrondissement et même de province, des roturiers, « des laboureurs » et souvent de simples fermiers siègent à côté des seigneurs et des prélats. Ils écoutent et retiennent le chiffre énorme des taxes qu’ils payent seuls ou presque seuls, taille, accessoires de la taille, capitation, impôt des routes, et certainement, au retour, ils en parlent à leurs voisins. Tous ces chiffres sont imprimés ; le procureur de village en raisonne avec ses pratiques, artisans et campagnards, le dimanche au sortir de la messe, ou le soir dans la grande salle de l’auberge. — Et ces conciliabules sont autorisés, provoqués d’en haut. Dès les premiers jours de 1788, les assemblées provinciales demandent aux syndics et aux habitants de chaque paroisse une enquête locale : on veut savoir le détail de leurs griefs, quelle part de revenu prélève chaque impôt, ce que paye et ce que souffre le cultivateur, combien il y a de privilégiés dans la paroisse, quelle est leur fortune, s’ils résident, à combien montent leurs exemptions, et, dans les réponses, le procureur qui tient la plume, nomme et désigne du doigt chaque