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LA RÉVOLUTION


foule qui n’a pas agi. Sa seule clameur suffit à la persuader ; à présent, c’est assez pour elle qu’un cri de haro ; dès que l’un frappe, tous veulent frapper. « Ceux qui n’avaient point d’armes, dit un officier[1], lançaient des pierres contre moi ; les femmes grinçaient des dents et me menaçaient de leurs poings. Déjà deux de mes soldats avaient été assassinés derrière moi… J’arrivai enfin, sous un cri général d’être pendu, jusqu’à quelques centaines de pas de l’Hôtel de Ville, lorsqu’on apporta devant moi une tête perchée sur une pique, laquelle on me présenta pour la considérer, en me disant que c’était celle de M. de Launey », le gouverneur. — Celui-ci, en sortant, avait reçu un coup d’épée dans l’épaule droite ; arrivé dans la rue Saint-Antoine, « tout le monde lui arrachait les cheveux et lui donnait des coups ». Sous l’arcade Saint-Jean, il était déjà « très-blessé ». Autour de lui, les uns disaient : « il faut lui couper le cou », les autres : « il faut le pendre », les autres : « il faut l’attacher à la queue d’un cheval ». Alors, désespéré et voulant abréger son supplice, il crie : « qu’on me donne la mort », et, en se débattant, lance un coup de pied dans le bas-ventre d’un des hommes qui le tenaient. À l’instant il est percé de baïonnettes, on le traîne dans le ruisseau, on frappe sur son cadavre en criant : « c’est un galeux et un monstre qui nous a trahis ; la nation demande sa tête

  1. Récit du commandant des trente-deux Suisses. — Récit de Cholat, marchand de vin, l’un des vainqueurs. — Interrogatoire de Desnot (qui coupa la tête de M. de Launey).