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L’ANARCHIE SPONTANÉE


« décliner son nom, déclarer sa profession, sa demeure et son vœu… On ne peut plus entrer dans Paris ou en sortir, sans être suspect de trahison ». Le prince de Montbarey, partisan des nouvelles idées, et sa femme, arrêtés dans leur voiture à la barrière, sont sur le point d’être mis en pièces. Un député de la noblesse, allant à l’Assemblée nationale, est saisi dans son fiacre, conduit à la Grève : on lui montre le cadavre de M. de Launey, en lui annonçant qu’on va le traiter de même. — Toute vie est suspendue à un fil, et, les jours suivants, quand le roi a éloigné ses troupes, renvoyé ses ministres, rappelé Necker, tout accordé, le danger reste aussi grand. Livrée aux révolutionnaires et à elle-même, la multitude a toujours les mêmes soubresauts meurtriers, et les chefs municipaux qu’elle s’est donnés[1], Bailly, maire de Paris, La Fayette, commandant de la garde nationale, sont forcés de ruser avec elle, de l’implorer, de se jeter entre elle et les malheureux sur lesquels elle s’abat.

Le 15 juillet, dans la nuit, une femme, déguisée en homme, est arrêtée dans la cour de l’Hôtel de Ville, et si maltraitée qu’elle s’évanouit ; Bailly, pour la sauver, est obligé de feindre contre elle une grande colère et de l’envoyer sur-le-champ en prison. Du 14 au 22 juillet,

  1. Bailly, II, 32, 74, 88, 90, 95, 108, 117, 137, 158, 174. « Je donnais des ordres qui n’étaient ni suivis, ni entendus… On me faisait entendre que je n’étais pas en sûreté. » (15 juillet.) — « Dans ces temps malheureux, il ne fallait qu’un ennemi et une calomnie pour soulever la multitude. Tout ce qui avait eu pouvoir jadis, tout ce qui avait gêné et contenu les émeutiers, était sûr d’être poursuivi. »