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LA CONSTITUTION APPLIQUÉE


dire la crainte de la faim. Car elle ne sait ni attendre, ni raisonner, ni voir au delà d’elle-même. À chaque canton ou commune il faut son pain, son approvisionnement sûr et indéfini. Que le voisin se pourvoie comme il pourra ; nous d’abord, ensuite les autres. Et, par des arrêtés, par des coups de force, chaque groupe garde chez lui les subsistances qu’il a, ou va prendre chez les autres les subsistances qu’il n’a pas.

À la fin de 1789[1], « le Roussillon refuse des secours au Languedoc ; le haut Languedoc au reste de la province, la Bourgogne au Lyonnais ; le Dauphiné se cerne ; une partie de la Normandie retient les blés achetés pour secourir Paris ». À Paris, il y a des sentinelles à la porte de tous les boulangers ; le 21 octobre, l’un d’eux est lanterné, et sa tête portée au bout d’une pique. Le 27 octobre, à Vernon, c’est le tour d’un négociant en blé, Planter, qui, l’hiver précèdent, a nourri les pauvres de six lieues à la ronde ; en ce moment, ils ne lui pardonnent pas d’envoyer des farines à Paris ; pendu deux fois, il est sauvé, parce que deux fois la corde casse. — Ce n’est que par force et sous escorte que l’on peut faire arriver du grain dans une ville ; incessamment les gardes nationales ou le peuple soulevé le saisissent au passage. En Normandie[2], la milice de Caen arrête sur les grands chemins le

  1. Buchez et Roux, III, 240 (mémoire des ministres, 28 octobre 1789). — Archives nationales, D, XXIX, 3. Délibération du conseil municipal de Vernon (4 novembre 1789).
  2. Archives nationales, KK, 1105. Correspondance de M. de Thiard, 4 novembre 1789. — Autres faits semblables, 4 septembre, 23 octobre, 4 et 19 novembre 1789, 27 janvier et 27 mars 1790.