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LA CONSTITUTION APPLIQUÉE

III

La crainte de manquer de pain n’est que la forme aiguë d’une passion plus générale, qui est l’envie de posséder et la volonté de ne pas se dessaisir. Aucun instinct populaire n’avait été froissé plus longtemps, plus rudement, plus universellement, sous l’ancien régime ; et il n’en est aucun qui bouillonne davantage sous la contrainte, aucun qui, pour être contenu, exige une digue publique plus haute, plus épaisse, et tout entière bâtie de blocs durs. C’est pourquoi, dès le commencement, celui-ci crève ou submerge la mince et basse bordure, les levées de terre friable et croulante entre lesquelles la Constitution prétendait l’enserrer. — Le premier flot noie les créances de l’État, du clergé et de la noblesse. Aux yeux du peuple, elles sont abolies ; du moins, il s’en donne quittance. Là-dessus son idée est faite et fixe ; pour lui, c’est en cela que consiste la Révolution. Il n’a plus de créanciers, il ne veut plus en avoir, il n’en payera aucun, et d’abord il ne payera plus l’État.

Le 14 juillet 1790, jour de la Fédération, à Issoudun en Berry, la population, solennellement convoquée, venait prêter le beau serment qui devait assurer pour toujours la paix publique, la concorde sociale et le respect de la loi[1]. Probablement, ici comme ailleurs, on

  1. Archives nationales, H, 1453. Correspondance de M. de Bercheny, 28 juillet, 24 et 26 octobre 1790. — Cette disposition a persisté. Après les journées de juillet 1830, il y eut une grande insurrection à Issoudun contre les droits réunis ; sept à huit mille