Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 4, 1910.djvu/167

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
155
LA CONSTITUTION APPLIQUÉE


les cervelles. On a bu, chanté, crié, célébré les décrets nouveaux, devant des paysans armés qui n’entendent pas le français, encore bien moins les termes légaux, et qui, au retour, raisonnant entre eux en bas-breton, interprètent la loi d’une étrange manière. « À leur sens, un décret de l’Assemblée nationale est un décret de prise de corps ; » or les principaux décrets de l’Assemblée sont contre les nobles ; donc ce sont là, contre les nobles, autant de décrets de prise de corps. — Quelques jours après, vers la fin de janvier, pendant tout le mois de février et jusqu’au mois d’avril, l’opération s’exécute tumultuairement, par des attroupements de villageois et de vagabonds, autour de Nantes, Auray, Redon, Dinan, Ploërmel, Rennes, Guingamp, et d’autres villes encore. Partout, écrit le maire de Nantes[1], « les gens de la campagne croient s’affranchir de leurs redevances en brûlant les titres ; dans cette persuasion, les meilleurs d’entre eux y concourent », ou laissent faire ; et les excès sont énormes, parce que plusieurs exercent « des vengeances particulières, et que tous sont échauffés par le vin ». À Beuvres, « les paysans et vassaux de la seigneurie, après avoir brûlé les titres, s’établissent dans le château et menacent de l’incendier, si on ne leur livre d’autres papiers qu’ils prétendent qu’on leur cache ». Près de Redon, l’abbaye de Saint-Sauveur est réduite en cen-

  1. Archives nationales, KK, 1105, (correspondance de M. de Thiard). — Lettres du maire de Nantes, 16 février 1790, de la municipalité de Redon, 19 février, etc.