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LA RÉVOLUTION


réserve, la conduite, la distribution des eaux sont bouleversées, et, dans un pays où les pentes sont raides, on imagine les suites d’une pareille opération. — À trois lieues de Tulle, dans un vallon formant demi-cercle, un étang profond de vingt pieds sur une étendue de trois cents arpents était fermé par une épaisse chaussée du côté d’une gorge très profonde, toute peuplée de maisons, de moulins et de cultures. Le 17 avril 1791, une troupe, assemblée au son du tambour, cinq cents hommes armés des trois villages voisins se mettent à démolir la digue. Le propriétaire, député suppléant à l’Assemblée nationale, M. de Sedières, n’est averti qu’à onze heures du soir ; il monte à cheval avec ses hôtes et ses domestiques, charge les misérables fous, et, à coups de pistolet, de fusil, les disperse ; il était temps : la tranchée qu’ils creusaient avait déjà huit pieds de profondeur ; l’eau affleurait presque ; une demi-heure plus tard, l’effroyable masse roulante se déversait sur les habitants de la gorge. — Mais, contre l’attaque universelle et continue, de tels coups de main, rares et rarement heureux, ne sont pas une défense. La troupe de ligne et la gendarmerie, toutes deux en voie de refonte ou de décomposition, sont peu sûres ou trop faibles. Il n’y a que trente hommes de cavalerie dans la Creuse et autant dans la Corrèze. La garde nationale des villes est surmenée par tant d’expéditions dans la campagne, et l’argent manque pour lui payer ses déplacements. Enfin, l’élection aux mains du peuple amène au pouvoir des hommes disposés à tolérer tous les excès populaires.