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LA RÉVOLUTION


cela, il est traité comme les autres ; c’est que les paroisses de sa terre sont « clubistes », gouvernées par une compagnie de niveleurs ruraux et pratiques ; dans l’une d’elles « les brigands, s’étant constitués en municipalité », ont choisi leur chef pour procureur-syndic. Partant, le 22 août, quatre-vingts paysans armés ont ouvert la chaussée de son grand étang, au risque de submerger le village voisin, qui est venu la refermer. Dans les deux semaines suivantes, ses cinq autres étangs ont été démolis ; quatre à cinq mille francs de poisson ont été volés ; le reste pourrit dans les herbes[1]. Pour mieux assurer l’expropriation, on a voulu brûler ses titres ; son château, assailli dans la nuit et à deux reprises, n’a été sauvé que par la garde nationale d’Ussel. À présent ses métayers et domestiques hésitent à cultiver, ils sont venus demander au régisseur s’ils pouvaient faire les semailles. Nul recours auprès des autorités : les administrateurs, les juges, même lorsqu’il s’agit de leurs propres biens, « n’osent se montrer ouvertement », parce « qu’ils ne se voient pas en sûreté sous le bouclier de la loi ». — À travers la loi ancienne ou nouvelle, la volonté populaire poursuit opiniâtrement son œuvre et atteint forcément son objet.

Aussi bien, quels que soient les grands noms, liberté, égalité, fraternité, dont la Révolution se décore, elle est par essence une translation de la propriété : en cela con-

  1. Archives nationales, F7, 3204. Lettres de M. de Saint-Victour, 25 septembre, 2 et 10 octobre 1791. — Lettre du régisseur de la terre de Saint-Victour, 18 septembre.