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LA RÉVOLUTION


« verts ». Provinciaux, Parisiens, militaires, bourgeois, attablés et confondus, trinquent et s’embrassent. Surtout les soldats, les sous-officiers sont entourés, acclamés, régalés, jusqu’à en perdre la raison, la santé, et plus encore. Tel, « vieux cavalier qui compte plus de cinquante ans de service, meurt au retour, brûlé de liqueurs et excédé de plaisirs ». — Bref, l’allégresse déborde, comme il convient dans le jour unique où le vœu d’un siècle entier s’est accompli. Voilà bien le bonheur idéal, tel que les livres et les estampes du temps le montraient. L’homme naturel, enterré sous la civilisation artificielle, s’est dégagé, et reparaît comme aux premiers jours, comme à Otaïti, comme dans les pastorales philosophiques et littéraires, comme dans les opéras bucoliques et mythologiques, confiant, aimant, heureux. « L’âme se sent affaissée sous le poids d’une délicieuse ivresse à l’aspect de tout ce peuple redescendu aux doux sentiments de la fraternité primitive », et le Français, bien plus gai, bien plus enfant qu’aujourd’hui, s’abandonne, sans arrière-pensée, à ses instincts de sociabilité, de sympathie et d’expansion.

Tout ce que l’imagination du temps lui fournit pour ajouter à son émotion, tout le décor classique, oratoire et théâtral dont il dispose, il l’emploie pour embellir sa fête. Déjà exalté, il veut encore s’exalter davantage. — À Lyon, les cinquante mille fédérés du Midi se rangent en bataille autour d’un rocher artificiel haut de cin-

    au chevalier de Poterat, 18 juillet 1790.) — Dampmartin, Événements qui se sont passés sous nos yeux, etc., I, 155.