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LA RÉVOLUTION


« leurs forces qu’il faut détruire l’aristocratie, mettre à la lanterne les catholiques et les aristocrates ». Ils entrent dans un café suspect, en chassent les habitués avec injures, mettent la main sur un gentilhomme qui passe pour n’avoir pas crié aussi correctement et aussi fort qu’eux-mêmes : peu s’en faut qu’il ne soit pendu[1]. — Tel est le fruit de la sensibilité et de la philosophie du dix-huitième siècle : les hommes ont cru que, pour instituer une société parfaite, pour établir à demeure la liberté, la justice et le bonheur sur la terre, il leur suffisait d’un élan de cœur et d’un acte de volonté. Ils viennent d’avoir cet élan et de faire cet acte ; ils ont été transportés, ravis, guindés au-dessus d’eux-mêmes. À présent, par contre-coup, il faut bien qu’ils retombent en eux-mêmes. Leur effort a produit tout ce qu’il pouvait produire, c’est-à-dire un déluge d’effusions et de phrases, un contrat verbal et non réel, une fraternité d’apparat et d’épiderme, une mascarade de bonne foi, une ébullition de sentiment qui s’évapore par son propre étalage, bref un carnaval aimable et qui dure un jour.

C’est que, dans la volonté humaine, il y a deux cou-

  1. Archives nationales, ib., 13 mai 1790. « M. de la Rifaudière a été tiré de sa voiture et mené au corps de garde, qui fut aussitôt rempli de monde. On n’entendait que crier : À la lanterne, l’aristocrate ! — Le fait est qu’après avoir crié vingt fois : Vive le Roi et la Nation ! comme on voulait lui faire crier : Vive la Nation toute seule, il a crié : Vive la Nation tant qu’elle pourra ! » — À Blois, le jour de la fédération, un attroupement promène dans les rues une tête de bois coiffée d’une perruque, avec un écriteau portant qu’il faut couper le cou aux aristocrates.