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LA RÉVOLUTION


ministre n’osera déplacer soixante hommes et protéger un convoi de grains. Il est clair qu’il n’y a plus de pouvoir exécutif, plus d’autorité centrale, plus de France, mais seulement des communes désagrégées et indépendantes, Orléans et Limoges qui, par leurs représentants, négocient entre elles, l’une pour ne pas manquer de troupes, l’autre pour ne pas manquer de pain.

Considérons sur place et dans un cas circonstancié cette dissolution générale. Le 18 janvier 1790, à Marseille, la nouvelle municipalité entre en fonctions. Selon l’usage, la majorité des électeurs n’a pas pris part au scrutin[1], et le maire Martin n’a été élu que par un huitième des citoyens actifs. Mais, si la minorité dominante est petite, elle est résolue et entend n’être gênée en rien. « À peine constituée[2] », elle députe au roi pour qu’il retire ses troupes de Marseille ; celui-ci, toujours accommodant et faible, finit par y consentir : on prépare les ordres de marche, et la municipalité en est avertie. Mais elle ne veut tolérer aucun délai, et sur-le-champ « elle rédige, imprime et débite une dénonciation à l’Assemblée nationale » contre le commandant et les deux ministres, coupables, selon elle, d’avoir supposé ou supprimé des ordres du roi. En même temps, elle s’équipe et se fortifie comme pour un combat. Dès ses débuts, elle a cassé la garde bourgeoise trop amie de l’ordre, et institué une garde nationale où bientôt les

  1. Fabre, Histoire de Marseille, II, 422. Martin n’eut que 3555 voix, et, un peu après, la garde nationale comptait 24 000 hommes.
  2. Archives nationales, F7, 3196. Lettre du ministre, M. de Saint-Priest au président de l’Assemblée nationale, 11 mai 1790.