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LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


député cultivateur : « Regardez, dit on, ce drôle d’aristocrate ; c’est un mâtin de paysan qui gardait les vaches dans son pays. » Un jour, Hua, montant la terrasse des Tuileries, est saisi aux cheveux par une mégère qui lui crie : « Baisse la tête, j… f… de député, c’est le peuple qui est ton souverain. » Le 20 juin, un des patriotes qui traversent la salle lui dit à l’oreille : « Grand gueux de député, tu ne périras que de ma main. » Une autre fois, ayant défendu le juge de paix Larivière, il est attendu à la porte, sur le minuit « par un tas de gueux qui dirigent vers lui leurs poings et leurs bâtons » ; par bonheur, ses amis Dumas et Daverhoult, deux militaires, ont prévu le danger, et, présentant leurs pistolets, le dégagent, « quoique avec peine ». — À mesure qu’on approche du 10 août, l’agression devient plus ouverte. Pour avoir défendu La Fayette, Vaublanc, au sortir de l’Assemblée, manque trois fois d’être écharpé ; soixante députés sont traités de même, frappés, couverts de boue et menacés de mort s’ils osent revenir aux séances[1]. — Avec de tels alliés, une minorité est bien forte ; grâce à ses deux instruments de contrainte, elle va détacher de la majorité les voix qui lui manquent, et presque toujours, par terreur ou par ruse, elle fera voter les décrets dont elle a besoin.

  1. Vaublanc, Mémoires, 334. — Moniteur, XIII, 368, séance du 9 août. Lettres et discours de députés.