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LA RÉVOLUTION


d’autres termes, on justifie les crimes, et, contre ceux que depuis deux ans on assassine, on provoque encore l’assassinat.

Par une conséquence forcée, si les victimes sont des coupables, les exécuteurs sont d’honnêtes gens, et l’Assemblée, qui poursuit les uns de toute sa rigueur, réserve aux autres toute son indulgence. Elle réhabilite les innombrables déserteurs qui ont quitté leurs drapeaux avant le 1er  janvier 1789[1] ; elle leur accorde 3 sous par lieue et les ramène à leur domicile ou à leur régiment, pour y devenir, avec leurs confrères dont la désertion est plus récente, des chefs ou des recrues d’émeute. Elle tire du bagne les quarante Suisses de Châteauvieux que leurs propres cantons voulaient y maintenir ; elle souffre que « ces martyrs de la liberté » soient promenés dans Paris sur un char de triomphe[2] ; elle les admet à sa barre, et, par un scrutin solennel, elle les invite aux honneurs de la séance[3]. Enfin, comme si elle prenait à tâche de lâcher sur le public la plus féroce et la plus immonde canaille, elle amnistie Jourdan, Mainvielle, Duprat, Raphel, les repris de justice, les galériens évadés, les condottières de tous pays, qui se sont intitulés eux-mêmes « les braves brigands d’Avignon », et qui, pendant dix-huit mois, ont saccagé

  1. Décret du 8 février, et autres analogues sur les détails, par exemple du 7 février.
  2. Le 9 avril, aux Jacobins, Vergniaud, président, accueille et complimente les galériens de Châteauvieux.
  3. Mortimer-Ternaux, tome I, livre I (notamment la séance du 13 avril).