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LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


« cants, tous les chefs et la grande partie de la garde nationale de Paris », bref l’élite de la nation, et, parmi les citoyens, la très grande majorité de ceux qui ne vivaient pas au jour le jour, étaient pour lui et pour la droite de l’Assemblée contre la gauche. Si les troubles du dedans n’avaient pas été compliqués par les dangers du dehors, l’opinion aurait tourné, et le roi s’y attendait. En acceptant la Constitution, il avait jugé que la pratique en dévoilerait les défauts et en provoquerait la réforme. Cependant il l’observait avec scrupule, et, par intérêt autant que par conscience, il tenait son serment à la lettre. « L’exécution la plus exacte de la Constitution, disait-il à l’un de ses ministres, est le moyen le plus sûr pour faire apercevoir à la nation les changements qu’il convient d’y faire[1]. » — En d’autres termes, il comptait sur l’expérience, et très probablement, si l’expérience n’avait pas été dérangée, son calcul eût été juste. Entre les défenseurs de l’ordre et les instigateurs du désordre, la nation eût fini par opter ; elle se serait prononcée pour les magistrats contre les clubs, pour la gendarmerie contre l’émeute, pour le roi contre la populace. Au bout d’un an ou deux, elle aurait compris que, pour assurer l’exécution des lois, il était indis-

  1. Bertrand de Moleville, Mémoires, VI, 22. — Après avoir reçu du roi les instructions ci-dessus, Bertrand descend chez la reine, qui lui dit la même chose : « Ne pensez-vous pas que le seul plan qu’il y ait à suivre est d’être fidèle à son serment ? — Oui, certainement, madame. — Eh bien, soyez sûr qu’on ne nous fera pas changer. Allons, monsieur Bertrand, du courage ; j’espère qu’avec de la fermeté, de la patience et de la suite, tout n’est pas encore perdu. »