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LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


rue est souverain au même titre que la nation dans ses comices, ils sont les seuls qui s’attroupent dans la rue, et ils se trouvent rois, parce que, à force de déraison et d’outrecuidance, ils ont pu croire à leur royauté.

Tel est le nouveau pouvoir qui, dans les premiers mois de 1792, surgit à côté des pouvoirs légaux. La Constitution ne l’a pas prévu ; mais il existe, il se montre, on le voit, on peut compter ses recrues. Le 29 avril, du consentement de l’Assemblée et contrairement à la loi, les trois bataillons du faubourg Saint-Antoine, environ 1500 hommes[1], défilent dans la salle sur trois colonnes, dont l’une de fusiliers et les deux autres d’hommes à piques, « piques de 8 à 10 pieds », d’aspect formidable et de toute espèce, « piques à feuilles de laurier, piques à trèfle, piques à carrelet, piques à broche, piques à cœur, piques à langue de serpent, piques à fourchon, piques à stylet, piques avec hache d’armes, piques à ergots, piques à cornes tranchantes, piques à lance hérissées d’épines de fer ». De l’autre côté de la Seine, les trois bataillons du faubourg Saint-Marcel sont composés et armés de même. Cela fait un noyau de 3000 combattants, et il y en a peut-être 3000 autres pareils dans les autres quartiers de Paris. Ajoutez-y, dans chacun des soixante bataillons de la garde nationale, les canonniers,

  1. Moniteur, XII, 254. — D’après l’Almanach royal de 1792, la garde nationale de Paris comprend 32 000 hommes, divisés en soixante bataillons auxquels il faut ajouter les bataillons de piquiers spontanément organisés et composés surtout de citoyens non actifs. — Cf. dans les Révolutions de Paris, journal de Prudhomme, les estampes qui représentent ces sortes de défilés.