Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 5, 1904.djvu/30

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
26
LA RÉVOLUTION


tés humaines, toutes pareilles, égales, indépendantes et qui pour la première fois contractent ensemble, voilà leur conception de la société. Il n’y en a pas de plus écourtée, puisque, pour la former, il a fallu réduire l’homme à un minimum ; jamais cerveaux politiques ne se sont desséchés à ce degré et de parti pris. Car c’est par système et pour simplifier qu’ils s’appauvrissent. En cela, ils suivent le procédé du siècle et les traces de Jean-Jacques Rousseau : leur cadre mental est le moule classique, et ce moule, déjà étroit chez les derniers philosophes, s’est encore étriqué chez eux, durci et racorni jusqu’à l’excès. À cet égard, Condorcet[1] parmi les Girondins, Robespierre parmi les Montagnards, tous les deux purs dogmatiques et simples logiciens, sont les meilleurs représentants du type, celui-ci au plus haut point et avec une perfection de stérilité intellectuelle qui n’a pas été surpassée. — Sans contredit, lorsqu’il s’agit de faire des lois durables, c’est-à-dire d’approprier la machine sociale aux caractères, aux conditions, aux circonstances, un pareil esprit est le plus impuissant et le plus malfaisant de tous ; car, par structure, il est myope ; d’ailleurs, interposé entre ses yeux et les objets, son code d’axiomes lui ferme l’horizon : au delà de sa coterie et de son club, il ne distingue

  1. Voyez, dans le Progrès de l’esprit humain, la supériorité qu’il attribue à la Constitution républicaine de 1793 (livre IX). « Les principes sur lesquels la Constitution et les lois de la France ont été combinées sont plus purs, plus précis, plus profonds que ceux qui ont dirigé les Américains ; ils ont échappé bien plus complètement à l’influence de toutes les espèces de préjugés, etc. »