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LA RÉVOLUTION


nous sommes à la nation[1] ! » On tue les Suisses armés ou désarmés qui étaient restés à leur poste dans les appartements. On tue dans leurs loges les Suisses des portes. On tue tout dans les cuisines, depuis les chefs d’office jusqu’aux derniers marmitons[2]. Si les femmes échappent, c’est tout juste : Mme Campan, à genoux, saisie par le dos, voyait déjà lever le sabre, lorsque, du bas de l’escalier, une voix crie : « Que faites-vous, là-haut ? — Hein ? — On ne tue pas les femmes. — Relève-toi, coquine, la nation te fait grâce. » — En revanche, la nation se garnit les mains et s’en donne à cœur joie dans le palais, qui lui appartient. À la vérité quelques honnêtes gens rapportent à l’Assemblée nationale de l’argent et des objets de prix, mais les autres pillent et tous détruisent[3]. On casse les glaces, on brise les meubles, on jette les pendules par la fenêtre, on chante la Marseillaise au son d’un clavecin que touche un garde national[4], on descend dans les caves et l’on s’y gorge. « Pendant plus de quinze jours, dit un témoin[5], au-

  1. Récit de Pétion.
  2. Prudhomme, Révolutions de Paris, XIII, 236 et 237. — Barbaroux, 73. — Mme Campan, II, 250.
  3. Mortimer-Ternaux, II, 258. — Moore, I, 59. Quelques voleurs furent tués ; Moore en vit jeter un en bas du grand escalier.
  4. Michelet, III, 289.
  5. Mercier, le Nouveau Paris, II, 108. — Le comte de Fersen et la cour de France, II, 348. Lettre de Sainte-Foix, 11 août) : « Les caves ont été enfoncées et plus de 10 000 bouteilles de vin, dont j’ai vu les débris dans la cour, ont tellement enivré le peuple, que je me suis pressé de terminer une enquête imprudemment entreprise au milieu de 2000 ivrognes ayant des armes nues, qu’ils maniaient très imprudemment ».