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LA RÉVOLUTION


soient ma condition, mon incompétence, mon ignorance et la nullité du rôle dans lequel j’ai toujours langui, j’ai plein pouvoir sur les biens, les vies, les consciences de vingt-six millions de Français, et, pour ma quote-part, je suis tsar et pape. — Mais je le suis bien plus que pour ma quote-part si j’adhère à la doctrine. Car cette royauté qu’elle me décerne, elle ne la confère qu’à ceux qui, comme moi, signent le contrat social tout entier ; tous les autres, par cela seul qu’ils en ont rejeté quelque clause, encourent la déchéance ; on n’est pas admis aux bénéfices d’un pacte, lorsqu’on en répudie les conditions. — Bien mieux, comme celui-ci, institué par le droit naturel, est obligatoire, quiconque le rejette ou s’en retire est, par cela même, un scélérat, un malfaiteur public, un ennemi du peuple. Jadis il y avait des crimes de lèse-majesté royale ; maintenant il y a des crimes de lèse-majesté populaire, et on les commet lorsque, par action, parole ou pensée, on dénie ou l’on conteste au peuple une parcelle quelconque de l’autorité plus que royale qui lui appartient. Ainsi le dogme qui proclame la souveraineté du peuple aboutit en fait à la

    raison moralement. Il ne faut que du sens commun pour sentir cette vérité-là. » Ib. (sur l’exécution de Louis XVI), 447 : « La nation a-t-elle pu le juger, l’exécuter ? Cette question ne peut pas se faire par un être qui pense. La nation peut tout chez elle, elle a le pouvoir qu’aurait le genre humain, si une seule nation, un seul gouvernement régissait le globe. Qui oserait alors disputer au genre humain son pouvoir ? C’est ce pouvoir indiscutable, senti par les anciens Grecs, qu’a une nation de perdre même un innocent, qui leur fit exiler Aristide et condamner à mort Phocion. O vérité que n’ont pas sentie nos contemporains, que ton oubli a causé de maux ! »