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LES JACOBINS


abstraite est inintelligible. S’ils écoutent les dogmes du catéchisme nouveau, c’est comme ceux du catéchisme ancien, sans les entendre ; chez eux, l’organe mental qui saisit les abstractions n’est pas formé. Qu’on les amène au club, ils y dormiront ; pour les réveiller, il faudra leur annoncer le rétablissement de la dîme et des droits féodaux ; on ne pourra tirer d’eux qu’un coup de main, une jacquerie ; et plus tard, quand on voudra prendre ou taxer leurs grains, on les trouvera aussi récalcitrants sous la République que sous le Roi.

C’est ailleurs que la théorie fait des adeptes, entre les deux extrêmes, dans la couche inférieure de la bourgeoisie et dans la couche supérieure du peuple. Encore, de ces deux groupes juxtaposés et qui se continuent l’un dans l’autre, faut-il retrancher les hommes qui, ayant pris racine dans leur profession ou dans leur métier, n’ont plus de loisir ni d’attention à donner aux affaires publiques ; ceux qui ont gagné un bon rang dans la hiérarchie et ne veulent pas risquer leur place acquise ; presque tous les gens établis, rangés, mariés, d’âge mûr et de sens rassis, auxquels la pratique de la vie a enseigné la défiance de soi et de toute théorie. En tout temps, l’outrecuidance est moyenne dans la moyenne humaine, et, sur la plupart des hommes, les idées spéculatives n’ont qu’une prise superficielle, passagère et faible. D’ailleurs, dans cette société qui, depuis plusieurs siècles, se compose d’administrés, l’esprit héréditaire est bourgeois, c’est-à-dire discipliné, ami de l’ordre, paisible et même timide. — Reste une minorité, une très