Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 5, 1904.djvu/63

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
59
LES JACOBINS


décembre 1790[1], un ingénieur, M. Étienne, que Marat et Fréron, dans leurs gazettes, ont dénoncé et qualifié de mouchard, dépose une plainte, fait saisir les deux numéros, et, assignant l’imprimeur au tribunal de police, demande une rétractation publique ou 25 000 francs de dommages et intérêts. Là-dessus, les deux journalistes s’indignent : selon eux, ils sont infaillibles et inviolables ; « Il importe essentiellement, écrit Marat, que le dénonciateur ne puisse jamais être recherché par aucun tribunal, n’étant comptable qu’au public de tout ce qu’il croit ou prétend faire pour le salut du peuple. » C’est pourquoi M. Étienne, dit Languedoc, est un traître. « Mons Languedoc, je vous conseille de vous taire ;… je vous promets de vous faire pendre si je puis. » — Néanmoins M. Étienne persiste, et un premier arrêt lui adjuge ses conclusions. Aussitôt Marat et Fréron jettent feu et flamme. « Maître Thorillon, dit Fréron au commissaire, un châtiment exemplaire doit vous punir aux yeux du peuple ; il faut que cet infâme arrêt soit cassé. » — « Citoyens, écrit Marat, portez-vous en foule à l’Hôtel de Ville : ne souffrez pas un seul soldat dans la salle d’audience. » — Par une condescendance extrême, le jour du procès on n’a introduit que deux grenadiers dans la salle ; mais c’est encore trop ; la foule jacobine s’écrie : « Hors la garde ! Nous sommes souverains ici », et les deux grenadiers se

  1. Eugène Hatin, Histoire politique et littéraire de la presse, IV, 210 (avec les textes de Marat dans l’Ami du peuple et de Fréron dans l’Orateur du peuple).