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LA SECONDE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


gestes d’athlète, par ses effrayantes menaces », s’approprier leurs fonctions, leur dicter ses choix, « apporter des commissions toutes dressées », se charger de tout, « faire les propositions, les arrêtés, les proclamations, les brevets », et, puisant à millions dans le Trésor public, jeter la pâtée à ses dogues des Cordeliers et de la Commune, « à l’un 20 000 livres, à l’autre 10 000 », « pour la révolution, à cause de leur patriotisme » : voilà tout son compte rendu. Ainsi gorgée, la meute des « braillards » à jeun et des « intrigants » avides, tout le personnel actif des sections et des clubs est dans sa main. On est bien fort avec ce cortège en temps d’anarchie ; effectivement, pendant les mois d’août et de septembre, Danton a régné, et plus tard il dira du 2 septembre aussi justement que du 10 août : « C’est moi qui l’ai fait[1] ».

  1. La personne qui me raconte le fait suivant le tient du roi Louis-Philippe, alors officier dans le corps de Kellermann. — Le soir de la bataille de Valmy, le jeune officier est envoyé à Paris pour porter la nouvelle. En arrivant (22 ou 23 septembre 1792), il apprend qu’on l’a remplacé, qu’il est nommé gouverneur de Strasbourg. Il va chez Servan, ministre de la guerre ; on refuse d’abord de l’introduire : Servan est malade, au lit, avec tous les ministres autour de lui. Il dit qu’il arrive de l’armée et apporte des nouvelles ; il est admis, trouve en effet Servan au lit, avec différents personnages autour de lui, annonce la victoire. — On l’interroge, il donne des détails. — Puis il se plaint d’avoir été remplacé, dit qu’il est trop jeune pour commander avec autorité à Strasbourg, redemande son poste dans l’armée active. — « Impossible, répond Servan, la place est donnée, un autre est nommé. » Là-dessus, un des personnages présents, d’une figure étrange et d’une voix rude, le prend à part et lui dit : « Servan est un imbécile ; venez me voir demain, j’arrangerai votre affaire. — Qui êtes-vous ? — Danton, ministre de la justice. » — Il va le lendemain chez Danton, qui lui dit ; « C’est arrangé,