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LA SECONDE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


puis soûlé, puis affolé, tue vingt prêtres pour sa part et en meurt au bout d’un mois, buvant toujours, ne dormant plus, l’écume aux lèvres et tremblant de tous ses membres[1]. Quelques-uns enfin, venus à bonnes intentions, sont pris de vertige au contact du tourbillon sanglant, et, par un coup soudain de la grâce révolutionnaire, se convertissent à la religion du meurtre ; un certain Grapin, député par sa section pour sauver deux prisonniers, s’assoit à côté de Maillard, juge avec lui pendant soixante-trois heures et lui en demande certificat[2]. Mais la plupart ont les opinions de ce cuisinier qui, après la prise de la Bastille, s’étant trouvé là et ayant coupé la tête de M. de Launey, croyait avoir fait une action « patriotiques et s’estimait digne d’une médaille pour avoir détruit un monstre ». Ce ne sont pas des malfaiteurs ordinaires, mais des voisins de bonne volonté qui, voyant un service public installé dans leur quartier[3], sortent de leur maison pour donner un coup d’épaule : ils ont la dose de probité qu’on

  1. Ferrières (édit. Berville et Barrière), III, 486. — Rétif de la Bretonne, 581. Au bout de la rue des Ballets, comme on venait de tuer un prisonnier, le suivant enfile le guichet et se sauve : « Un homme qui n’était pas des tueurs, mais une de ces machines sans réflexion, comme il y en a tant, l’arrêta par sa pique… Le misérable fut arrêté par les poursuiveurs et massacré. Le piquier nous dit froidement : Moi, je ne savais pas qu’on voulait le tuer. »
  2. Granier de Cassagnac, II, 511.
  3. Les juges et les tueurs de l’Abbaye, retrouvés dans le procès de l’an IV, logeaient presque tous dans le voisinage, rues Dauphine, de Nevers, Guénégaud, de Buci, Childebert, Petite rue Taranne, de l’Égout, du Vieux-Colombier, de l’Échaudé-Saint-Benoît, du Four-Saint-Germain, etc.