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LA SECONDE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


tuera d’après la commune renommée ; cela simplifie. — Autre simplification plus redoutable encore : on condamnera et tuera par catégories. Suisses, prêtres, officiers ou serviteurs du roi, « chenilles de la liste civile », chacun de ces titres suffit. Dans les enclos où il n’y a que des prêtres ou des Suisses, on ne prendra pas la peine de juger, on égorgera en tas ; — Ainsi réduite, l’opération est à la portée des opérateurs ; le nouveau souverain a les bras forts autant que l’intelligence courte, et, par une adaptation inévitable, il ravale son œuvre au niveau de ses facultés.

À son tour, son œuvre le pervertit et le dégrade. Ce n’est pas impunément qu’un homme, surtout un homme du peuple, pacifié par une civilisation ancienne, se fait souverain et, du même coup, bourreau. Il a beau s’exciter contre ses patients et s’entraîner en leur criant des injures[1] ; il sent vaguement qu’il commet une action énorme, et son âme, comme celle de Macbeth, est « pleine de scorpions ». Par une contraction terrible, il se raidit contre l’humanité héréditaire qui tressaille en lui ; elle résiste, il s’exaspère, et, pour l’étouffer, il n’a d’autre moyen que de « se gorger d’horreurs[2] » en accumulant les meurtres. Car le meurtre, surtout tel qu’il le pratique, c’est-à-dire à l’arme blanche et sur des gens désarmés,

  1. Sicard, 81. Au commencement, les Marseillais eux-mêmes répugnaient à frapper des hommes désarmés et disaient à la foule : « Voilà nos sabres et nos piques ; donnez la mort à ces monstres ».
  2. Mot de Macbeth dans Shakspeare : « I have supped full with horrors ».


  la révolution. iv.
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