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LE PROGRAMME JACOBIN


ils renoncent à leurs autres volontés et se soumettent tout entiers, le moine à la règle, et le soldat à la discipline. Pareillement, dans le monde antique, deux préoccupations étaient souveraines. En premier lieu, la cité avait ses dieux fondateurs et protecteurs : à ce titre, elle leur rendait un culte minutieux et assidu ; sinon ils l’abandonnaient ; le moindre rite omis pouvait les offenser et la perdre. En second lieu, la guerre était incessante, et le droit de la guerre, atroce ; si la cité était prise, chaque particulier pouvait s’attendre à être tué, mutilé, vendu à l’encan, à voir vendre au plus offrant ses enfants et sa femme[1]. Bref, quand on se figure une cité, sous son acropole de temples, dans son enceinte fortifiée, parmi ses voisins haineux et menaçants, on la trouve semblable à l’institut des chevaliers de Saint-Jean sur leur rocher de Rhodes ou de Malte ; elle est une confrérie religieuse et militaire, dans un camp, autour d’une église. — En de pareilles conditions, il n’y a pas de place pour la liberté : les croyances publiques sont trop impérieuses ; les dangers publics sont trop grands. Sous leur pression et leur obsession, l’individu abdique au profit de la communauté ; celle-ci prend tout l’homme, parce que, pour subsister, elle a besoin de tout l’homme. Désormais, nul ne peut se développer à part et pour soi ; nul ne peut agir ni penser que dans un cadre

  1. Prise de Mélos par les Athéniens ; Thèbes, après la victoire d’Alexandre ; Corinthe, après la victoire des Romains. — Dans la guerre du Péloponèse, les Platéens, qui se rendent à discrétion, sont mis à mort ; Nicias est tué de sang-froid après sa défaite en Sicile ; les prisonniers d’Ægos-Potamos ont le pouce coupé, etc.