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LA RÉVOLUTION


ses gendarmes, de façon à faire rendre à chacun son dû. Le voilà donc régulateur et contrôleur, non seulement de la propriété privée, mais aussi de la famille et de la vie domestique ; son autorité s’est légitimement introduite dans le cercle réservé où se retranchait la volonté individuelle, et, selon l’usage des puissances, une fois le cercle entamé, il tend à l’occuper tout entier. — À cet effet, il allègue un nouveau principe. Constitué en personne morale, comme une Église, une université, une société charitable ou savante, n’est-il pas tenu, comme tout corps fondé à perpétuité, d’étendre ses regards au loin et au large, et de préférer aux intérêts particuliers, qui sont viagers, l’intérêt commun qui est éternel ? N’est-ce point là le but supérieur auquel on doit subordonner tous les autres, et faut-il sacrifier cet intérêt suprême à deux instincts revêches, qui souvent sont déraisonnables et qui parfois sont dangereux, à la conscience qui déborde en folies mystiques, à l’honneur qui s’emporte jusqu’aux duels meurtriers ? Non certes, et d’abord, dans ses plus grandes œuvres, quand l’État règle en législateur le mariage, les successions et les testaments, le respect des volontés individuelles n’est pas son guide unique ; il ne se contente pas d’obliger chacun à payer ses dettes et toutes ses dettes, même tacites, involontaires et innées, il fait entrer en ligne de compte l’intérêt public ; il calcule les poussées lointaines, les contre-coups futurs, les effets de masse et d’ensemble. Manifestement, quand il permet ou défend le divorce, quand il élargit ou restreint la quotité dis-