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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 7, 1904.pdf/178

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LA RÉVOLUTION


intime, est une perte ou un profit pour la société : si je soigne mal mon bien ou ma santé, mon intelligence ou mon âme, je ruine ou j’affaiblis en moi un membre de la communauté, qui n’est riche, saine et forte que par la richesse, la force et la santé de ses membres, en sorte qu’à ce point de vue tous mes actes privés sont des bienfaits ou des méfaits publics. Pourquoi donc, à ce point de vue, l’État aurait-il scrupule de me prescrire les uns et de m’interdire les autres ? Pourquoi, afin de mieux exercer ce droit et de mieux remplir ce devoir, ne se ferait-il pas l’entrepreneur universel du travail et le distributeur universel des produits ? Pourquoi ne serait-il pas le seul agriculteur, industriel et commerçant, l’unique propriétaire et gérant de la France ? — Précisément parce que cela serait contraire à l’intérêt de tous. Ici le second principe, celui-là même qu’on lançait contre l’indépendance individuelle, se retourne et, au lieu d’être un adversaire, devient un champion. Bien loin de déchaîner l’État, il lui passe au col une seconde chaîne, et consolide les clôtures dans lesquelles l’honneur et la conscience moderne ont enfermé le gardien public.

V

En effet, en quoi consiste l’intérêt de tous ? — Dans l’intérêt de chacun, et, ce qui intéresse chacun, ce sont les choses dont la possession lui est agréable et la privation pénible. Là-dessus, l’univers entier s’accorderait