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LA RÉVOLUTION


riées par l’intervention d’une force étrangère. Par l’histoire, il est devenu un organisme compliqué, où trois ou quatre religions, cinq ou six civilisations, trente siècles de culture intense ont laissé leur empreinte, où les acquisitions se sont combinées, où les hérédités se sont croisées, où les particularités se sont accumulées, de façon à produire le plus original et le plus sensible des êtres ; avec la civilisation croissante, sa complication va croissant : partant son originalité s’approfondit, et sa sensibilité s’avive ; d’où il suit que, plus il se civilise, plus il répugne à la contrainte et à l’uniformité. Aujourd’hui, chacun de nous est le produit terminal et singulier d’une élaboration prodigieuse, dont les étages ne se sont superposés que cette fois dans cet ordre, une plante unique en son espèce, un individu solitaire, d’essence supérieure et délicate, qui, ayant sa structure innée et son type inaliénable, ne peut donner que ses fruits propres. Rien de plus contraire à l’intérêt du chêne que d’être tourmenté pour porter les pommes du pommier ; rien de plus contraire à l’intérêt du pommier que d’être tourmenté pour porter les glands du chêne ; rien de plus contraire à l’intérêt du chêne, du pommier et des autres arbres que d’être tailladés, équarris, tordus pour végéter tous d’après le modèle obligatoire que l’imagination courte et raide d’un géomètre aura dessiné sur du papier. — Ainsi, le premier intérêt de tous, c’est d’être contraints le moins possible ; s’ils ont établi chez eux une agence de contrainte, c’est pour être préservés par elle des autres contraintes plus fortes, notamment de celles