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LES GOUVERNANTS


— Dans le plus célèbre et le plus important de ses rapports[1], j’ai compté vingt-quatre prosopopées, imitées de Rousseau et de l’antique, plusieurs très prolongées, les unes adressées à des morts, à Brutus, au jeune Barra, d’autres à des personnages absents, aux prêtres, aux aristocrates, aux malheureux, aux femmes françaises, d’autres enfin à un substantif abstrait, comme la Liberté ou l’Amitié : avec une conviction inébranlable et un contentement intime, il se juge orateur, parce qu’il tire à tout propos la vieille ficelle de la vieille machine. Pas un accent vrai dans son éloquence industrieuse ; rien que des recettes, et les recettes d’un art usé, des lieux communs grecs et latins[2], Socrate et sa ciguë, Brutus et son poignard, des métaphores classiques, « les flambeaux de la discorde et le vaisseau de l’État, » des alliances de mots et des réussites de style, comme en cherche un rhétoricien sur les bancs de son collège[3], parfois un grand air de bravoure,

  1. Discours du 7 mai 1794 (sur les idées morales et religieuses dans leur rapport avec les principes républicains).
  2. Buchez et Roux, XXXIII, 436 : « Les Verrès et les Catilina de mon pays. » (Discours du 8 thermidor). — Notez surtout le discours du 7 mai 1794, tout farci de réminiscences classiques.
  3. Ib., XXXIII, 421 : « La vérité a des accents touchants, terribles, qui retentissent avec force dans les cœurs purs, comme dans les consciences coupables, et qu’il n’est pas plus donné au mensonge d’imiter, qu’à Salmonée d’imiter les foudres du ciel. » 437 : « Pourquoi ceux qui avant-hier vous prédisaient tant d’affreux orages ne voyaient-ils plus hier que des nuages légers ? Pourquoi ceux qui vous disaient naguère : Je vous déclare que nous marchons sur des volcans, croient-ils ne marcher aujourd’hui que sur des roses ? »