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LES GOUVERNANTS


et, puisque par décret, le matin même, la Convention s’est obligée à le chanter, je puis bien supposer quelle le chante[1]. Ensuite on danse ; par malheur les textes manquent pour décider si la Convention a dansé. À tout le moins, elle assiste à la danse et consacre par sa présence une orgie d’espèce unique, non pas la kermesse de Rubens étalée en plein air, plantureuse et saine, mais une descente nocturne de la Courtille, un mardi-gras de voyous maigres et détraqués. — Dans la grande nef, « les danseurs, presque déculottés, le col et la poitrine nus, les bas ravalés, » se déhanchent et trépignent « en hurlant la Carmagnole ». Dans les chapelles collatérales, « qui sont masquées de hautes tapisseries, « les filles, avec des cris aigus », font des lupanars[2]. — S’encanailler ainsi à vif et à cru, fraterniser avec des ivrognes de barrière et des drôlesses de mauvais lieu, subir leurs embrassades entremêlées de hoquets, cela est dur, même pour les députés dociles. Plus de la moitié en ont eu le haut-de-cœur d’avance, et sont restés chez eux ; désormais ils ne veulent plus venir à la Convention[3]. — Mais la Montagne les envoie chercher, et

  1. Moniteur, XVIII, 399 (séance du 20 brumaire, motion de Thuriot) : « Je demande que la Convention se rende au temple de la Raison, pour y chanter l’hymne de la Liberté. » — « La proposition de Thuriot est décrétée. »
  2. Mercier, Ib., 99 (Scènes analogues à Saint-Eustache et à Saint-Gervais).
  3. Durand de Maillane, Mémoires, 182. — Grégoire, Mémoires, II, 34. Le 7 novembre 1793, dans la grande scène des abjurations, Grégoire seul résista disant : « Je reste évêque, j’invoque la liberté des cultes ». — « Des rugissements éclatèrent pour étouffer ma voix, dont j’élevais à mesure le diapason… Une