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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 7, 1904.pdf/342

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LA RÉVOLUTION


le renversement du sens commun est une grâce d’état, une nécessité d’office, et, sur ce fonds commun de déraison obligatoire, tous les délires physiques peuvent s’implanter.

Chez ceux qu’on peut suivre de près, non seulement le jugement est perverti, mais l’appareil nerveux est atteint, et la surexcitation permanente, l’agitation maladive ont commencé. — Considérez un Joseph Lebon, fils d’un sergent à verge, puis régent chez les Oratoriens de Beaune, ensuite curé de Neuville-Vitasse, rebuté comme intrus par l’élite de ses paroissiens, sans considération, sans mobilier, presque sans ouailles[1]. Deux ans après, il se trouve souverain de sa province, et la tête lui tourne ; elle tournerait à moins : ce n’est qu’une tête de vingt-huit ans, peu solide, sans lest inné[2], déjà ébranlée par la vanité, par l’ambition, par la rancune, par l’apostasie, par la volte-face subite et complète qui l’a mis en guerre avec les plus fortes habitudes de son éducation et avec les meilleures affections de son passé : elle se détraque sous l’énormité et sous la nouveauté de sa grandeur. — En costume de représentant, chapeau Henri IV, panache tricolore, écharpe flottante et sabre traînant, Lebon assemble, au son de la cloche, des villageois dans leur église, et, du haut de la chaire

  1. Paris, Histoire de Joseph Lebon, I, chap, i, pour tous les détails de biographie et de caractère.
  2. Paris, ib., I, 13. — Sa mère devint folle et fut enfermée ; ce qui lui avait dérangé l’esprit, c’était, dit Lebon lui-même, « son indignation contre mon serment et contre ma nomination à la cure de Neuville-Vitasse ».