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LES GOUVERNANTS


finit par un cri d’angoisse : « Je crois bien que nous serons tous guillotinés les uns après les autres[1]. » — Tel est l’état mental auquel conduit l’emploi de représentants en mission : en deçà de Carrier, qui est au terme, les autres, moins proches du terme, pâlissent sous la vision lugubre qui est l’effet inévitable de leur œuvre et de leur mandat. Au bout de toutes ces fosses qu’ils creusent, ils entrevoient, déjà creusée, leur propre fosse ; rien à faire pour le fossoyeur, sinon creuser au jour le jour, en manœuvre, et cependant profiter de sa place : à tout le moins, il peut s’étourdir, en ramassant les jouissances du moment.

IX

La plupart prennent ce parti, par instinct, par lassitude, et parce que l’étalage ajoute à l’autorité. « Traînés dans des carrosses à six chevaux, entourés de gardes, assis à des tables somptueuses de trente couverts, mangeant au bruit de la musique avec un cortège d’histrions, de courtisanes et de prétoriens[2] », ils impriment dans l’imagination l’idée de leur omnipotence, et l’on se courbe d’autant plus qu’ils mènent un plus grand train. — À Troyes, pour l’arrivée du jeune Rousselin, on tire le canon, comme pour l’entrée d’un

  1. Buchez et Roux, 183 (Déposition de Chaux).
  2. Mallet du Pan, Mémoires, II, 6 (mémoire du 1er  février 1794). — Sur André Dumont, Un Séjour en France, 158, 171. — Sur Merlin de Thionville, Michelet, VI, 97.