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LE GOUVERNEMENT RÉVOLUTIONNAIRE


sale, calculée pour ébranler l’imagination et pour exalter l’orgueil par la surexcitation physique de tous les sens[1]. Dans ce décor grandiose, les délégués s’enivrent de leur rôle ; car, manifestement, ce rôle est le premier : ils représentent vingt-six millions de Français ; la cérémonie n’a d’autre objet que de glorifier en eux le vœu national dont ils sont les porteurs. Sur la place de la Bastille[2] où la gigantesque effigie de la Nature verse, par ses deux mamelles, « l’eau régénératrice », le président Hérault, après avoir fait « des libations » et salué la nouvelle déesse, passe la coupe aux quatre-vingt-sept doyens d’âge des quatre-vingt-sept départements ; chacun d’eux, « appelé au son de la caisse et de la trompette », vient boire à son tour, et, quand il a bu, le canon gronde, comme pour un roi ; puis, quand le quatre-vingt-septième a déposé la coupe, toute l’artillerie tonne. Alors le cortège se met en marche, et, dans le défilé, les délégués ont encore la place d’honneur. Les doyens d’âge, tenant d’une main une branche d’olivier, et de l’autre main une pique avec une banderole qui porte le nom de leur département, sont « reliés entre eux par un léger ruban tricolore », et entourent la Convention, comme pour indiquer que la nation maintient et conduit ses représentants légaux. Derrière eux, les sept mille autresdélé-

  1. Cette fête coûta 1 200 000 francs, outre les frais de voyage des 7000 délégués.
  2. Buchez et Roux, XXVIII, 439 (Procès-verbal de la fête nationale du 10 août). — Dauban, la Démagogie en 1793, 317 (extrait du rituel républicain).