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LES GOUVERNANTS


« Ysabeau, vive le sauveur de Bordeaux, notre ami, notre père ! » — « Des enfants d’aristocrates viennent l’apostropher ainsi, jusque sous les portières de sa voiture. Car il a une voiture et plusieurs voitures, un cocher, des chevaux, l’équipage d’un ci-devant noble, des gendarmes qui le précèdent partout, même dans les parties de campagne », où ses nouveaux courtisans l’appellent « grand homme », et déploient, pour le recevoir, « un luxe asiatique ». À sa propre table, grande chère, « superbe pain blanc », dit « pain des représentants », tandis que les campagnards des environs vivent de racines et que les habitants de Bordeaux n’ont pas tous les jours quatre onces de pain moisi. — Même bombance chez les représentants à Lyon, au milieu d’une misère égale. Dans les comptes rendus de Collot, on voit s’échelonner, avec les bouteilles d’eau-de-vie à 4 francs, les perdreaux, chapons, dindons, poulardes, brochets, écrevisses ; notez aussi le pain blanc ; l’autre, dit « pain d’égalité », imposé aux simples mortels, répugne à cette bouche auguste ; ajoutez-y les réquisitions d’Albitte et de Fouché, en une fois, 700 bouteilles de vins fins, une autre fois, 50 livres de café, 160 aunes de mousseline, 3 douzaines de mouchoirs de soie pour cravates, 3 douzaines de paires de gants, 4 douzaines de paires de bas : ils s’approvisionnent[1]. — Parmi tant de satrapes ambulants,

  1. Archives nationales, AF, II, 111. Arrêté de Bourbotte (Tours, 5 messidor an II), « requérant l’administration du district de mettre à sa disposition, tant pour ses besoins personnels que pour ceux des citoyens attachés à sa commission, la quantité de 40 bouteilles de vin rouge et 30 de blanc, lesquelles seront