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LES GOUVERNANTS


mourir, on procède à l’enterrement civique, un détachement révolutionnaire se joint au cortège ; les hommes sont armés de haches ; arrivés au cimetière, afin de mieux célébrer les funérailles, « ils abattent toutes les croix, en font un autodafé, et la Carmagnole termine ce jour à jamais mémorable[1] ». — Quelquefois la scène, théâtrale et jouée aux flambeaux, laisse aux auteurs l’impression qu’ils ont fait quelque chose d’extraordinaire et de méritoire, qu’ils ont sauvé la patrie. « Cette nuit, écrit l’agent de Bordeaux[2], près de 3000 hommes ont été employés pour une expédition importante ; à leur tête étaient les membres du comité révolutionnaire et de la municipalité. On est allé chez tous les grands négociants de la ville et du faubourg des Chartrons ; on s’est emparé de leur copie de lettres, on a apposé les scellés sur leurs comptoirs, on a mis les négociants en arrestation au séminaire. Malheur aux coupables ! » — S’il est beau de coffrer aussi promptement, dans une ville, toute une classe d’individus, il est encore plus beau de saisir une ville entière. Partis de Marseille avec une petite armée[3], deux sans-culottes en chef cernent Martigues et y entrent comme dans un moulin. Superbe coup de filet : dans cette ville de 5000 âmes, on ne trouve que 17 patriotes ; tout le reste est fédéraliste ou modéré ; par suite, désarmement

  1. Archives des affaires étrangères, tome 531 (Lettre de Haupt, Belfort, 13 frimaire an II).
  2. Ib. (Lettre de Desgranges, Bordeaux, 10 frimaire).
  3. Ib., tome 332 (Lettre de Thiberge, Marseille, 14 frimaire). « J’ai fait cerner la ville avec la petite armée que j’avais. »