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LA RÉVOLUTION


davantage, si la frontière n’avait pas été gardée par des patrouilles, si, pour la franchir, il n’avait pas fallu risquer sa vie ; et cependant, pour la franchir, beaucoup risquent leur vie, déguisés, errants, la nuit, en plein hiver, à travers les coups de fusil, décidés à se sauver coûte que coûte, pour aller, en Suisse, en Italie, en Allemagne et jusqu’en Hongrie, chercher la sécurité et le droit de prier Dieu à leur façon[1]. — Si quelqu’un des exilés ou déportés se hasarde à rentrer, on le traque comme une bête fauve : sitôt pris, sitôt guillotiné[2]. M. de

    France ; l’administration locale les portait sur sa liste, soit parce qu’ils résidaient dans un autre département et n’avaient pu obtenir les certificats très nombreux exigés par la loi pour constater la résidence, soit parce que les faiseurs de listes se moquaient des certificats produits ; ils trouvaient agréable de fabriquer un émigré, afin de confisquer légalement son bien, et de le guillotiner lui-même, non moins légalement, comme émigré rentré. — Message du Directoire aux Cinq-Cents, 3 ventôse an V. « D’après l’aperçu qui a été fait dans les bureaux du ministre des finances, le nombre des inscrits sur la liste générale des émigrés s’élève à plus de 120 000 ; encore est-il quelques départements dont les listes ne nous sont point encore parvenues. » — La Fayette, Mémoires, II, 181 (Lettre à M. de Latour-Maubourg, 17 octobre 1799. note). « Le 19 octobre 1800, d’après le rapport du ministre de la police, la liste, en neuf volumes, des émigrés contenait encore 145 000 individus, malgré les 13 000 radiations du Directoire et les 1200 du gouvernement consulaire. »

  1. Cf. les Mémoires de Louvet, de Dulaure et de Vaublanc. — Mallet du Pan, Mémoires, II, 7. « Plusieurs, à qui j’ai parlé, ont fait, à la lettre, le tour de la France, sous plusieurs déguisements, sans avoir pu trouver une issue ; ce n’est qu’à la suite d’aventures romanesques qu’ils sont enfin parvenus, à vol d’oiseau, à gagner enfin la Suisse, seule frontière encore un peu accessible. » — Sauzay, V, 210, 220, 226, 270 (Émigration de 54 habitants de Charquemont, qui vont s’établir en Hongrie).
  2. Ib., tomes IV, V, VI et VII (Sur les prêtres bannis qui sont restés pour continuer leur ministère, et sur les prêtres expulsés