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LA RÉVOLUTION


tant, outre ses intérêts personnels, chaque membre avait des intérêts de corps. — Ainsi sa situation était autre qu’aujourd’hui, et, par un contre-coup naturel, son caractère, ses mœurs, ses goûts étaient autres. D’abord il était bien plus indépendant : il ne craignait point d’être révoqué ni transféré ailleurs, brusquement, à l’improviste, sur un rapport de l’intendant, pour une raison politique, afin de faire place, comme aujourd’hui, au candidat d’un député ou à la créature d’un ministre. Cela eût coûté trop cher ; au préalable, il aurait fallu lui rembourser le prix de son office et au taux d’achat, c’est-à-dire au taux de dix fois au moins le revenu de l’office[1]. D’ailleurs, pour se défendre, réclamer, prévenir sa disgrâce, il aurait eu derrière lui son corps entier, souvent les autres corps apparentés, parfois toute la ville, remplie de ses proches, clients et camarades. Contre les caprices de la faveur et les brutalités de l’arbitraire, l’essaim défendait l’abeille, et l’on avait vu tel procureur de Paris, soutenu par ses

    Babeau, Histoire de Troyes pendant la Révolution, I, 23), parmi les notables de la municipalité, il doit se trouver un membre du clergé, deux nobles, un officier du bailliage, un officier des autres juridictions, un médecin, un ou deux bourgeois, un avocat, un notaire ou un procureur, quatre négociants ou marchands, et deux membres des corps de métiers.

  1. Albert Babeau, la Ville, 26. (Cf. la note précédente.) — La recette de Rethel est vendue, en 1746, 150 000 livres ; elle rapporte de 11 000 à 14 000 livres. — L’acquéreur doit en outre payer à l’État le droit du marc d’or ; en 1762, ce droit est de 940 livres pour une charge de conseiller au bailliage de Troyes — D’Esprémenil, conseiller au Parlement de Paris, avait payé sa charge 50 000 livres, plus 10 000 livres pour le droit du marc d’or.