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LA RÉVOLUTION


suspects, rendait ainsi compte de son expédition[1] : « Cent trente muscadins ont été arrêtés… On a transféré ces Messieurs aux Petits-Pères. Ce ne sont pas des sans-culottes ; ils sont gras et bien dodus. » Henriot avait raison : se bien nourrir est incivique. Quiconque s’approvisionne est coupable, même quand il est allé très loin chercher ses provisions, quand il n’a pas surpayé le boucher de son quartier, quand il n’a pas ôté une once de viande à la ration de ses voisins ; sitôt qu’on le découvre, on lui fait rendre gorge et on le châtie. — « Un citoyen avait fait venir un petit cochon de lait de six lieues de Paris, et l’avait tué ensuite. Trois heures après, le cochon a été saisi par des commissaires et distribué au peuple, sans que le propriétaire ait pu en avoir un morceau » ; de plus, ledit propriétaire « a été mis en prison[2] ». — Accapareur : pour le Jacobin, pour des estomacs vides, il n’y a pas de plus grand crime ; leur imagination ne découvre que ce méfait pour s’expliquer l’arrestation d’Hébert, leur favori. « On dit à la Halle[3] qu’il a accaparé un compagnon de saint Antoine tout entier et un pot de vingt-cinq livres de beurre de Bretagne ; » cela leur suffit ; aussitôt, « et à l’unanimité, ils vouent le Père Duchesne à la guillotine ». — Aussi bien, de tous les privilèges, le plus blessant est la possession des vivres : « Il faut maintenant que celui qui a deux plats en

  1. Moniteur, XIX, 669.
  2. Dauban, Paris en 1794, 245 (Rapport de Bacon, 25 ventôse an II).
  3. Ib., 253 (Rapport de Perrière, 26 ventôse)