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LA RÉVOLUTION


bons souliers ; car beaucoup n’ont que des sabots ou vont pieds nus. Aristocrate, le propriétaire qui touche ses loyers ; car d’autres, ses locataires, au lieu de toucher, payent. Aristocrate, le locataire qui est dans ses meubles ; car beaucoup logent en garni, et plusieurs à la belle étoile. Aristocrate, quiconque possède un capital, même des plus minces, en argent ou en nature, un champ et un toit, une demi-douzaine de couverts d’argent donnés par ses parents le jour de son mariage, un bas de laine où se sont entassés, un à un, vingt ou trente écus, toutes ses économies, quelque réserve ou quelques épargnes, un chétif assortiment de subsistances ou de marchandises, sa récolte de l’année, son fonds d’épicerie, surtout s’il répugne à s’en dessaisir et s’il laisse voir son mécontentement lorsque, par la taxe révolutionnaire, par la réquisition, par le maximum, par la confiscation des métaux précieux, il est contraint de livrer sa petite épargne gratis ou à moitié prix. — Au fond, ceux-là seuls sont réputés patriotes, qui n’ont rien en propre et vivent au jour le jour, « les gueux[1] »,

    nément dans les rues les femmes qui s’habillent trop bien ou avec des couleurs qu’il plaît au peuple d’appeler aristocratiques. J’ai été moi-même presque renversée à terre, parce que je portais un chapeau de paille avec des rubans verts. » Nolhac, Souvenirs de trois années de la Révolution à Lyon, 132 : « On publia que quiconque avait deux habits devait en porter un à sa section, pour habiller un bon républicain et assurer le règne de l’égalité. »

  1. Buchez et Roux, XXVI, 455 (Discours de Robespierre aux Jacobins, 10 mai 1795) : « Tous les riches font des vœux pour la contre-révolution ; il n’y a que les hommes gueux, il n’y a que le peuple qui puisse sauver la patrie. » — Id., XXX (Rapport