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LES GOUVERNÉS


après la chute du roi et l’arrachement de la vieille clef de voûte qui maintenait encore en place les pierres ébranlées de l’édifice social, le paysan alarmé n’a plus voulu se dessaisir ; il s’est résolu à refuser les assignats, à ne plus livrer ses grains que contre espèces sonnantes. Échanger du bon blé contre de mauvais chiffons de papier sali lui semble une duperie, et très justement, puisque chez les marchands de la ville, de mois en mois, il reçoit moins de marchandises pour le même chiffon. Thésauriseur et méfiant comme il est, il lui faut des écus au bon coin, à l’ancienne effigie, pour les entasser au fond d’un pot ou dans un bas de laine ; donnez-lui du numéraire, ou il garde son blé. Car il n’est pas, comme autrefois, obligé de s’en défaire aussitôt après la récolte, pour acquitter ses impôts et son fermage ; le garnisaire et l’huissier ne sont plus là pour le contraindre : en ce temps de désordre et de démagogie, sous des autorités impuissantes ou partiales, ni le créancier public, ni le créancier privé n’ont la force en main pour se faire payer, et les aiguillons, qui jadis poussaient le fermier vers le marché voisin, se sont émoussés ou rompus. Partant il s’abstient d’y porter, et il a d’ailleurs d’excellentes raisons pour s’abstenir. Sur la route et à l’entrée des villes, les vagabonds et les affamés arrêtent et pillent les charrettes pleines ; au marché et sur la place, les femmes, avec des ciseaux, éventrent les sacs, ou la mu-

    affreuse. L’administration distribue un huitième de setier par personne, et chacun est obligé d’attendre deux jours pour avoir son tour,… Une jeune femme a été étouffée, et plusieurs personnes blessées. »