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LES GOUVERNÉS


« l’agent[1], la population couche à la porte des boulangers, pour y payer très chèrement un mauvais pain que souvent elle n’obtient pas… On n’a pas cuit aujourd’hui et demain on donnera demi-livre de pain par personne. Ce pain est fait d’avoine et de féveroles… Les jours où l’on n’en a pas, on distribue des fèves, des châtaignes, du riz, mais en très petite quantité, » quatre onces de pain, cinq onces de riz ou de châtaignes. « Moi qui vous parle, j’ai déjà fait huit ou dix repas sans pain ; j’y renoncerais volontiers, si je pouvais le remplacer par des pommes de terre ; mais elles manquent aussi. » Cinq mois plus tard, le jeûne dure encore, et il se prolonge jusqu’après la Terreur, non seulement dans la ville, mais par tout le département. « Dans le district de Cadillac, dit Tallien[2], règne en ce moment la disette la plus absolue ; les citoyens des campagnes se disputent l’herbe des champs ; j’ai mangé du pain de chiendent ; » hâve et défait, le paysan, avec sa femme et ses enfants pâles, va dans la lande déterrer des racines, et ses bras n’ont plus la force de pousser la charrue. — Même spectacle dans tous les pays qui produisent peu de grains ou dont les greniers ont été vidés par la rafle révolutionnaire : « En

  1. Archives des affaires étrangères, tomes 331 et 332 (Lettres de Desgranges, 3 et 8 brumaire, 3 et 10 frimaire) : « Beaucoup de paysans n’ont pas mangé de pain depuis huit et quinze jours ; aussi la plupart ne travaillent-ils plus. » — Buchez et Roux, XXXII, 426, Mémoires de Senar. — Moniteur, XVIII, 346 (séance de la Convention, 14 brumaire, discours de Legendre).
  2. Moniteur, XIX, 691 (Discours de Tallien, 12 mars 1794). — Buchez et Roux, XXXII, 423 (Lettre de Jullien, 15 juin 1794).


  la révolution, vi.
T. VIII. — 17