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LA RÉVOLUTION


leur rang, font leur métier ; c’est pour elles un intermède ; on entend de loin « leurs propos agaçants, leurs rires immodérés » ; et l’endroit leur est commode : sur le flanc de la queue, à deux pas, « les portes entr’ouvertes des allées obscures » invitent au tête-à-tête ; plusieurs de ces femmes, qui ont apporté leurs matelas, « s’y couchent et y commettent mille horreurs ». Excellent exemple pour les filles ou femmes d’ouvriers rangés, pour les servantes honnêtes qui entendent et voient. « Des hommes, s’arrêtant sur chaque rang, choisissent leur Dulcinée ; d’autres, plus éhontés, se ruent en taureaux sur les femmes, qu’ils embrassent l’une après l’autre. » Ne sont-ce pas là les baisers fraternels du patriotisme jacobin ? Est-ce que la fille et la femme du maire Pache ne vont pas en donner dans les clubs aux sans-culottes ivres ? Et que peut dire la garde ? — Elle a bien assez de peine à contenir l’autre instinct animal, aveugle et sourd, exaspéré comme il l’est par la souffrance, par l’espérance et par la déception.

Aux approches de chaque boucherie, avant l’ouverture, « les porteurs, courbés sous le poids de moitiés de bœufs, courent pour ne pas être assaillis par la foule qui se rue sur eux et semble dévorer des yeux la viande crue ». Ils se font livrer passage, ils entrent par l’arrière-boutique, et l’on croit que la distribution

    fructidor an II) : « Toujours de grands attroupements aux ports de charbon ; ils commencent dès minuit, une heure et deux heures du matin. Plusieurs de ces habitués profitent de l’ombre de la nuit pour commettre mille indécences. »