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LES GOUVERNÉS


séquestre de ses biens et de sa personne, amendes, prison, pilori, guillotine pour hâter les réquisitions ou réprimer le commerce libre : tous les engins d’épouvante travaillent de leur grand jeu, notamment contre les laboureurs et les fermiers.

À partir d’avril 1794[1] on voit les cultivateurs arriver par troupes dans les prisons ; eux aussi, la Révolution les a frappés, et, d’un air morne, ahuri, ils errent dans le préau, dans les corridors, ne comprenant plus rien au train dont va le monde. On a eu beau leur expliquer que « leur récolte est une propriété nationale et qu’ils n’en sont que les dépositaires[2] », jamais le principe nouveau n’est entré et n’entrera dans leur cervelle durcie ; toujours, par habitude et par instinct, ils iront à l’encontre. — Épargnons-leur cette tentation ; retirons de leurs mains et prenons en fait toute leur récolte ; que l’État devienne en France l’unique dépositaire et distributeur des grains ; qu’il achète seul et qu’il vende seul tous les grains au prix fixé. En conséquence, à Paris[3],

  1. Un Séjour en France (22 avril 1794).
  2. Ludovic Sciout, IV, 236 (Proclamation des représentants en mission dans le Finistère) : « Magistrats du peuple, dites aux propriétaires et aux cultivateurs que leurs récoltes sont une propriété nationale, et qu’ils n’en sont que les dépositaires. » — Archives nationales, AF, II, 92 (Arrêtés de Bô, représentant dans le Cantal, 8 pluviôse) : « Considérant que dans une République tous les citoyens ne font qu’une famille…, tous ceux qui se refuseraient à aider leurs frères voisins, sous le prétexte spécieux de ne pas avoir une provision complète, doivent être regardés comme des citoyens suspects. »
  3. Archives nationales, AF, II, 68 (Arrêté du Comité de Salut public 28 prairial). Le prix maximum de l’avoine est de 14 francs le quintal ; après le 30 messidor, il ne sera plus que de 11 francs.


  la révolution, vi.
T. VIII. — 18