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LES GOUVERNÉS


éteindraient les vies par centaines de mille[1]. À ce moment, le gouvernement entr’ouvre la porte de ses magasins ; il prête quelques sacs contre promesse de remboursement ; il avance à Cherbourg quelques centaines de quintaux d’avoine ; avec du pain d’avoine, les pauvres subsisteront jusqu’à la moisson. Mais surtout il double la garde et montre les baïonnettes. À Nancy, un voyageur[2] voit « plus de 3000 personnes solliciter vainement quelques livres de farine » ; on les disperse à coups de crosse. — Coups de crosse aux paysans, pour leur enseigner le patriotisme, coups de crosse aux citadins, pour leur enseigner la patience, contrainte physique exercée sur tous au nom de tous : le socialisme autoritaire n’a jamais trouvé que ce procédé pour répartir les vivres et pour discipliner la faim.

VII

Tout ce qu’un gouvernement absolu peut faire par la contrainte physique, celui-ci le fait ou l’entreprend pour

  1. Archives nationales, AF, II, 71 (Lettre de la municipalité d’Auxerre, 19 messidor) : « Jusqu’ici nous avons vécu d’industrie et comme par miracle ; il a fallu des efforts incroyables, des dépenses énormes et des opérations vraiment surnaturelles pour y arriver. Mais, d’ici à la fin de thermidor, reste un mois : comment vivre ? Nos concitoyens, dont la majeure partie est cultivateur et artisan, sont rationnés à demie livre par jour par individu, et nous n’avons que la ration de dix à douze jours au plus. »
  2. Meissner, Voyage à Paris, 339 : « Il n’y avait pas, dans l’auberge où nous étions, un seul morceau de pain ; je courus moi-même cinq ou six boutiques de boulangers et de pâtissiers que je trouvai parfaitement dégarnies. » Dans la dernière seu-